I. 1. La structure de l’épargne des ménages en France
Philippe BERNHEIM Date de création : 17/09/2018Date de révision : 19/01/2021Janvier 2021
1.Le patrimoine des ménages
D’après l’INSEE, le patrimoine des ménages français s’élevait à 13 416 milliards d’euros fin 2018[1].
Compte tenu des crédits en cours, c’est-à-dire la dette des ménages, soit 1 681 milliards d’euros, le patrimoine net s’élevait fin 2018 à 11 735 milliards d’euros.
7 368 milliards d’euros, soit plus de 62% du patrimoine net correspondaient à la valeur des biens immobiliers des Français (constructions et terrains), qui avait fortement progressé au cours des dix dernières années. 673 milliards d’euros correspondaient à des objets de valeur et à divers actifs non financiers.
Le solde représentait essentiellement la valeur de leurs avoirs qualifiés de financiers : dépôts bancaires, livrets, actions et obligations détenues en direct ou au travers des supports collectifs.
Ce patrimoine financier brut s’élevait alors à 5 375 milliards d’euros. En déduisant les 1 681 milliards d’euros de dettes, le patrimoine financier net était de 3 694 milliards d’euros.
En moyenne, selon l’INSEE, le patrimoine moyen brut par ménage était fin 2018 de 276 000 euros, et le patrimoine moyen net de 239 000 euros. A noter que ce patrimoine apparaît très inégalement réparti : le patrimoine brut médian des ménages était de 163 100 euros et 5% des ménages détenaient le tiers de ce patrimoine brut (1% détenant 16% de ce patrimoine brut avec un montant minimum de 1 941 600 euros), tandis que les 10% des ménages aux patrimoines les plus modestes détenaient moins de 3 800 euros. (Etude INSEE de décembre 2019).
2.L’épargne des ménages
Les Français sont parmi les peuples qui épargnent le plus dans le monde, notamment parmi ceux qui disposent par ailleurs d’importants mécanismes collectifs de retraite.
La part du revenu disponible consacrée à l’épargne était de 14,76% en 2019, après avoir atteint 16% au début des années 2010. Contrepartie à l’effondrement de la consommation pendant la période de confinement lors de l’épidémie du Covid 19, ainsi qu’à des craintes sur les perspectives économiques et sociales, elle est brutalement montée à 22% environ en 2020.
Selon les chiffres publiés par Eurostat, au sein de l’Union européenne, où le taux moyen était de 11,49% fin 2019 (12,41% pour la seule zone euro), La France n’était devancée que par la Suède (20,05%), les Pays Bas (19,99%) et l’Allemagne (18,62%). Le taux français est de l’ordre du double de celui observé dans les pays anglo-saxons (6,52% au Royaume Uni et 8,1% aux Etats-Unis en 2019).
Les ménages français ont donc la possibilité de contribuer, par leurs placements, au financement de l’économie.
3.La structure de l’épargne des ménages
Placements financiers des ménages en France
au 31 décembre 2019
Numéraire et dépôts à vue | 609.70 | 11.21% |
Epargne réglementée (livret A, LDD, CEL…) | 771.40 | 14.19% |
Comptes à terme, livrets ordinaires | 267.66 | 4.92% |
OPC monétaires | 5.90 | 0.11% |
Titres de créance en direct (y.c. obligations) | 42.10 | 0.77% |
Titres de créance en OPC | 81.70 | 1.50% |
Actions cotées | 304.50 | 5.60% |
Actions non cotées et autres participations | 1059.40 | 19.48% |
OPC actions | 113.90 | 2.09% |
Assurance vie supports en euros | 1697.90 | 31.23% |
Assurance vie supports en UC | 386.60 | 7.11% |
Fonds divers (non résidents, immobiliers) | 92.60 | 1.70% |
Total placements financiers | 5 437.20 | 100% |
En milliards d’euros
Source : Banque de France (DGS-DSMF)
Par grandes composantes au 31 décembre 2019, l’épargne financière brute des ménages était ainsi répartie[2] :
- Liquidités (y compris les livrets et les OPC monétaires) et livrets : 31%
- Titres et diverses créances : 31%
- Assurances : 38%
On observe que :
- le numéraire, les dépôts et les comptes ou livrets rémunérés ainsi que les OPC monétaires représentent près d’un tiers du montant des en-cours ; leur part, après avoir été croissante lorsque les livrets défiscalisés et garantis (Livret A et Livret de Développement Durable) offraient une rémunération attractive pour des montants dont le plafond a été fortement relevé, a diminué entre 2013 et 2016 en raison de la baisse du rendement de ces mêmes livrets, rendement à nouveau abaissé à compter du 1er février 2020[3] et du rendement extrêmement faible des autres livrets ainsi que des comptes à terme ; par contre, ces derniers ainsi que les PEL et PEP, parce qu’ils étaient un peu mieux rémunérés, ont alors progressé pour représenter 7% du total des en-cours ; 2017 et 2018 ont été en revanche marquées par une nouvelle augmentation des liquidités (dépôts à vue, livrets d’épargne défiscalisés) en conséquence d’une fuite des investissements réputés risqués qui s’est confirmée en 2019 , puis de l’épargne massive de la période de crise sanitaire et économique de 2020 se traduisant par un supplément d’épargne de l’ordre de 130 milliards d’euros ; cette épargne de court terme, très faiblement ou pas rémunérée, se déprécie du fait d’une l’inflation même faible et des contributions affectant les placements les mieux rémunérés ;
- les assurances (assurance vie, assurance retraite) constituent la principale composante de l’épargne financière des ménages ; parmi celles-ci l’assurance vie (1 788 milliards d’euros fin 2019[4], à 78% dans le cadre de contrats en euros), qui correspond pour une large part à des placements obligataires indirects (emprunts des Etats mais aussi emprunts privés)[5], auxquels s’ajoute une part croissante de placements diversifiés (voir fiche n°90 « L’assurance vie »), représente à elle seule plus du tiers du patrimoine financier des ménages et constitue de fait leur placement préféré, devant les placements liquides ; la collecte nette avait progressé de 6% en 2019 ; sa structure tendait en 2019 à évoluer vers des emplois plus risqués, puisque 26% des cotisations de 2019 ont porté sur des contrats en unités de compte – pourcentage atteignant même 41% en décembre 2019 ; les assureurs sous pression face à l’effondrement de leur rentabilité dans le cadre des contrats en euros, voire conduits à relever le niveau de leurs capitaux propres en face de leurs engagements, s’efforcent de freiner fortement les souscriptions de contrats en euros et d’orienter davantage les placements vers les contrats en unités de compte ; l’effondrement temporaire des marchés d’actions au 1er semestre de 2020, du fait de la crise due la Covid 19 et de la récession attendue, a stoppé cette évolution et même entrainé un recul de l’assurance vie, qui pourrait n’être que temporaire ;
- la part des actions cotées varie en fonction des bourses, sa hausse jusqu’au 3ème trimestre 2018 a contribué à masquer une érosion continue de l’actionnariat individuel, au moins jusqu’en 2015, que n’a pas compensé l’investissement indirect à travers des OPC actions ou diversifiés ; malgré une forte hausse des marches financiers en 2019 (+26% pour l’indice CAC 40), les actions détenues en direct représentaient un peu moins de 6% du patrimoine financier des ménages en décembre 2019. La crise liée à la Covid 19 a provoqué en mars 2020 une très forte baisse des marchés d’actions, ceux-ci anticipant le blocage durable de l’activité économique et l’écroulement plus ou moins important des résultats des sociétés en 2020. Cette baisse a été suivie d’une remontée sélective des cours, favorisée au plan mondial par l’abondance des liquidités à la recherche de rendement, profitant surtout aux secteurs favorisés par la crise sanitaire ou peu impactés.
.4. Les points forts de l’épargne des ménages
Le taux d’épargne élevé constitue un atout potentiel pour faire face aux aléas de la vie ainsi que pour la préservation du pouvoir d’achat à l’heure de la retraite, du moins pour ceux qui ont la capacité d’épargner.
Pour plus de la moitié sous forme de liquidités et de placements garantis (livrets défiscalisés, contrats d’assurance vie en euros), l’épargne des ménages paraissait assez bien protégée contre les risques de dépréciation, tant que l’inflation demeurait très faible.
Le succès des livrets défiscalisés a profité dans le passé aux investissements auxquels ils sont destinés, en fonction des priorités gouvernementales, notamment le financement du logement social. Dans l’avenir, ces livrets pourraient contribuer pour partie au financement des PME-ETI.
5. Les problèmes de l’épargne des ménages
. Pour les ménages eux-mêmes
. En premier lieu, on a vu que le patrimoine des ménages était constitué pour environ 60% de biens immobiliers ; or le marché immobilier connaît des variations importantes. Après avoir beaucoup monté, il a commencé à se retourner au début des années 2010, avant de se redresser à nouveau dans les zones où la demande est forte. L’investissement immobilier pour l’accession à la propriété a été favorisé par des taux d’emprunt faibles, qui sont devenus inférieurs au taux d’inflation en 2018 et en ont été très voisins tout au long de 2019[6]. Ceci favorise l’acquisition de biens immobiliers avec un endettement qui progresse si rapidement que la Banque de France a demandé aux banques de respecter des limites de durée (27 ans en 2021) et surtout de part du revenu du foyer consacrée à la charge financière (35% en 2021), avec des possibilités contrôlées d’assouplissement dans le cas des primo-accédants.
Cependant le marché immobilier tend à devenir doublement risqué.
Dans les zones où la demande de logements est faible, les prix modiques ont séduit des investisseurs qui espéraient de ce fait un rendement attractif, mais qui faute de trouver des locataires n’ont pas pu rentabiliser leur investissement. De plus les prix ont commencé à baisser dans de nombreuses villes moyennes, voire importantes.
Ceci est également de nature à mettre en difficulté des ménages endettés et contraints dans certaines parties du territoire de revendre leur bien à un prix inférieur au prix d’acquisition. S’ils ne font pas partie de ceux qui disposent d’une épargne financière suffisante, leur situation deviendra difficile.
En revanche, là où la hausse des prix est redevenue forte (notamment en Région parisienne et dans plusieurs grandes métropoles), la primo accession à la propriété des épargnants risque de devenir impossible ou réduite à des surfaces de logement inférieures à leurs besoins réels. De plus la bulle immobilière qui se forme pourrait en cas de retournement du marché mettre en difficulté des ménages contraints de vendre leur logement à un prix inférieur au prix d’acquisition alors qu’ils devront continuer à rembourser leur emprunt. De plus en la quasi absence d’inflation, celui-ci ne se déprécie pas en euros constants au fil du temps.
. En second lieu, la forte protection de la majorité de l’épargne, atout en période de récession et de chute des marchés financiers, a comme contrepartie un rendement faible[7]. Si l’inflation, résultant principalement de la hausse des produits pétroliers (prix des matières premières et taxes sur les carburants), avait momentanément progressé en 2018, atteignant en rythme annuel 2,3% en août, elle a fortement baissé depuis lors, revenant à 1,1% en 2019 et poursuivant sa baisse en 2020). En conséquence, l’essentiel de l’épargne garantie a enregistré depuis 2018 un rendement réel négatif ; cette épargne quasi sans risque ne se valorise presque plus, et le plus souvent se dévalorise en « euros constants ». C’est le cas des livrets A et des LDDS au rendement annuel de 0,75% en 2019 et de 0,5% à compter du 1er février 2020, et il en est de même du rendement net de certains contrats d’assurance vie en euros. Cette épargne garantie est devenue contre-productive dans la perspective de la retraite et d’une possible dépendance.
Les contrats « Euro Croissance » de l’assurance vie, créés à partir de 2014 et aménagés en 2019 dans le cadre de la « Loi PACTE », avec une garantie à l’échéance de 8 ans ou plus, ont pour but d’offrir une solution possible à ce problème. Reste à savoir si les ménages français seront attirés par ce nouveau type de placement au rendement final incertain.
En troisième lieu, l’effondrement des taux d’intérêts aboutit à un étranglement financier des banques et assurances, qui doivent augmenter leurs fonds propres pour garantir leur solvabilité. Cette situation ne peut qu’entraîner pour elles des conditions d’emprunt plus coûteuses, avec le risque d’une spirale de fragilisation financière et de difficultés à honorer leurs engagements envers les épargnants. A cet égard, la crise économique provoquée par l’épidémie de Covid 19, qui débouche sur une récession au moins temporaire, ne peut qu’amplifier les risques pour les banques. Ceci a conduit l’Etat couvrir le risque de crédit aux PME en grande difficulté, mais viables. La fragilisation financière se profile aussi pour les assureurs lorsque leurs portefeuilles de titres s’effondrent en bourse, menaçant davantage encore leurs ratios de solvabilité. Le soutien massif de la BCE à l’économie, par le rachat de titres de dette émanant des Etats et des entreprises, protège les banques contre le risque de manque de liquidités ; par contre il n’est pas une réponse au problème de dégradation des ratios de solvabilité. Ce qui constitue un risque latent pour les ménages créanciers des banques et des assurances.
. Pour l’économie française
L’épargne des ménages apparaît insuffisamment tournée vers le financement des entreprises, à travers les actions détenues en direct ou par le biais des OPC, alors que les nouvelles règles de solvabilité des banques (Bâle III) et des assurances (Solvabilité II) ont conduit celles-ci à réduire leurs investissements directs dans les entreprises.
Or les PME et les ETI vont avoir un besoin croissant de fonds propres du fait de marges qui globalement ne permettent pas d’autofinancer l’ensemble des investissements[8], tandis que leur endettement atteint souvent un niveau critique, voire catastrophique suite à un effondrement de leur activité du fait de l’épidémie de Covid 19. Elles ne pourront pas rester sous l’oxygène des aides publiques et des crédits garantis par l’Etat. Il est donc nécessaire que, sauf leur rachat par des investisseurs étrangers, l’épargne des ménages s’investisse davantage, directement, ou par le biais de placements collectifs (OPCVM et FIA), dans ces entreprises le plus souvent non cotées actuellement, prioritairement dans celles ayant un réel potentiel de croissance. Il y a là un enjeu majeur pour le moment de la relance économique, après le brutal coup de frein de l’activité du fait de l’épidémie.
La diminution de la part des ménages dans le capital des sociétés françaises cotées s’est accompagnée au cours des années récentes d’une montée au capital d’investisseurs étrangers, avec comme corollaire une sortie plus importante de dividendes vers l’étranger. Un redressement de la part des ménages français semble s’être amorcé à partir de 2017, tandis que la part des investisseurs étrangers baissait légèrement ; la forte chute des marchés financiers en mars 2020 n’a pas entrainé une fuite des actionnaires individuels français, mais paraît au contraire en avoir amené de nouveaux vers les actions, séduits par des cours jugés attractifs et la perspective de rendements plus élevés que dans le cadre des placements moins risqués; susceptible d’être vulnérable aux fluctuations boursières, cette évolution reste à confirmer dans la durée .
Le rendement réel des actions résiste souvent mieux à l’inflation que celui des autres actifs financiers. Les ménages français ne semblent pas en avoir été conscients dans le passé.
(1] Source : INSEE, janvier 2020
[2] Source : Banque de France
[3] Le taux de rémunération du Livret A et du LDDS était de 0,75% en 2019, devenu inférieur à celui de l’inflation (environ 1,4% en 2019) ; il passe à 0,50% à compter du 1er février 2020. Voir fiche n°80 « Rémunérer ses liquidités »
[4] En-cours des contrats et provisions pour participation aux bénéfices. (Source : FFA).
[5] Obligations et OPC à revenus fixes 68,7%, actions et OPC actions 23,5%, immobilier 4,4%, prêts et autres 3,4% en 2018 (Source : FFA)
[6] 1,2% pour le taux moyen de crédit à 20 ans fin 2019
[7] Les contrats d’assurance vie en euros ont rapporté 1,8% en moyenne en 2017, 1,5 % en 2018 et pourraient avoir rapporté entre 1% et 1,3% en 2019 ; les nouveaux PEL ne rapportent plus que 1%, tandis que le Livret A rapporte 0,5%.
[8]Fin 2017, selon l’INSEE, le taux de marge moyen des entreprises françaises (Excédent brut d’exploitation/valeur ajoutée brute) s’établissait à 31,9%. Il était tombé à 29,9% en 2013 avant de remonter grâce notamment au CICE. En Allemagne ce taux est supérieur à 40%. Le taux moyen d’autofinancement des investissements était de 84,7% en 2016. La concurrence dans de nombreuses branches – notamment dans les services- crée une pression sur les marges, qui rend difficile le renforcement des fonds propres par autofinancement d’entreprises endettées et aux capitaux propres insuffisants.