II. 2. Le problème des retraites en France
Philippe BERNHEIM Date de création : 19/10/2017Date de révision : 26/06/2024Juin 2024
2013 et 2014 avaient été marquées en France par de nouvelles réformes des retraites ayant un triple objectif : ramener progressivement le système déficitaire vers l’équilibre, assurer sa pérennité économique sur le long terme, répartir équitablement les efforts nécessaires dans le cadre de la solidarité nationale. Fin 2019, une nouvelle réforme avait été annoncée pour d’une part assurer à nouveau la pérennité du système de retraites dans son ensemble, d’autre part le rendre plus équitable en surmontant l’obstacle résultant de l’actuelle hétérogénéité des régimes de base et complémentaires. Le projet de loi, adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale, a été finalement abandonné. Il comportait une refonte complète du système de retraite par répartition en vigueur avec le passage à un système par points et la suppression progressive des régimes spéciaux y compris dans la fonction publique. En 2023, un nouveau projet de loi a été déposé qui, définitivement adopté, a été promulgué le 14 avril 2023 pour une entrée en application à partir du 1er septembre 2023.
L’enjeu de cohésion sociale se double donc d’un enjeu économique qu’illustre le montant total des pensions versées, 346 milliards d’euros en 2021, soit 13,8% du PIB de la France (contre seulement 11,7% en 2002). Le taux des retraites par rapport au PIB est le plus élevé de l’OCDE après celui de l’Italie (16,7% en 2017), supérieur à celui de l’Allemagne (11%), ou à celui de la Suède (10,3%) en 2017.
Fruit de l’histoire sociale, de choix effectués à des époques différentes, de mesures successives destinées à mieux protéger le pouvoir d’achat des futurs retraités, le système français en vigueur début 2023 est d’une grande complexité, mais s’est avéré longtemps efficace ; il est caractérisé par :
- des mécanismes de base multiples (régime général et régimes spéciaux) et à règles de fonctionnement hétérogènes
- des régimes complémentaires obligatoires, principalement inter professionnels, et gérés par les partenaires sociaux
- la faible part des mécanismes de capitalisation (dont le principal est la retraite additionnelle de la fonction publique)
- l’existence de droits familiaux variables suivant les régimes (majoration des droits, possibilité de cessation anticipée de l’activité, périodes consacrées à élever des enfants pendant lesquelles les cotisations sont prises en charge par la collectivité, réversion partielle de la pension en cas de veuvage…)
- des mécanismes de solidarité qui représentent environ 10% des montants versés (minima de pension, compensation des accidents de la vie et de périodes de non activité)
- une épargne retraite encouragée mais encore faible, largement inférieure à celle utilisée pour l’investissement immobilier [1| (voir fiche n°3)
- des résultats dans l’ensemble satisfaisants au niveau du pouvoir d’achat
- une situation financière marquée en 2022 par un léger excédent du régime général (3,2 milliards d’euros), mais qui devait connaître un déficit croissant à partir de 2023 et qui de ce fait, à défaut de réformes, aurait pu devenir problématique pour les finances publiques pendant de nombreuses années, notamment jusqu’à l’extinction de la majeure partie de la génération du baby boom, vers 2035/2040.
Les données essentielles (2)
– Le financement des retraites provient pour 80% de cotisations patronales ou salariales, pour 12% de l’impôt et le solde de transferts (depuis l’assurance chômage, la branche famille…). Les ressources provenant du travail représentaient 89,6% du total en 2021, celles provenant des revenus du capital environ 5%, celles provenant de la consommation environ 3%, le solde étant procuré par la CSG sur les revenus de remplacement.
– Le pouvoir d’achat des retraités est actuellement en moyenne légèrement supérieur à celui de la moyenne générale de la population, tout en étant un peu inférieur au revenu moyen des actifs ; l’INSEE l’évaluait, en 2019, à 2132 euros par mois et par unité de consommation (foyer) et à 101,5 % de celui de la moyenne de la population (mais un peu inférieur au revenu moyen des foyers d’actifs). Au niveau individuel, la pension « moyenne » était de 1510 euros en 2020. Ce montant moyen masque cependant de fortes disparités (3) : les femmes en particulier sont sur représentées parmi ceux qui ont les plus faibles pensions, cumulant souvent carrière incomplète, faible qualification ou absence de diplôme, et bas salaire pendant leur vie professionnelle (4) ; les retraites agricoles sont nettement inférieures à la moyenne (800 euros par mois en moyenne pour les anciens exploitants agricoles), celles des régimes spéciaux souvent nettement supérieures (2500 euros en moyenne). Il faut souligner que les retraités ont en moyenne davantage de revenus patrimoniaux que les actifs (321 euros par mois en moyenne), ce qui contribue positivement à leur pouvoir d’achat, mais aussi à une plus grande disparité des situations. Une partie des retraités perçoit des revenus d’activité ou des prestations sociales, ce qui explique aussi l’écart avec le montant moyen net des pensions, 1510 euros par mois. Mais le taux de 101,5% devrait progressivement diminuer du fait notamment de la limitation de la revalorisation des pensions indexées sur les prix et non plus sur les salaires, des hausses de contributions sociales, et passer au-dessous du revenu moyen de la population vers le milieu des années 2020. A l’horizon 2070, le COR le situe dans une fourchette de 75,4% à 87,7%, sauf évolution du comportement des assurés (augmentation de l’épargne, départs à la retraite retardés).
– La durée moyenne de la retraite n’a cessé de croître avec l’espérance de vie (5) jusqu’ aux toutes dernières réformes ; elle est de 19 ans pour la génération 1920, de 25 ans pour la génération 1950 ; le recul de l’âge de départ à la retraite issu de la réforme de 2014 la fera reculer à 24 ans pour la génération 1955, mais en l’absence de nouveau recul de l’âge effectif de départ à la retraite, elle aurait été de 25 à 26 ans pour la génération 1975. En l’état des prévisions relatives à la mortalité, elle devrait à nouveau s’allonger pour les générations suivantes, tout en étant impactée légèrement et transitoirement à la baisse par le Covid 19.
– La durée moyenne d’activité validée, essentielle pour le financement d’un système de retraite par répartition, a quant à elle baissé : de 39 années pour la génération 1960 (qui a le « pic de durée »), elle serait tombée suivant les prévisions à 36 ans pour la génération 1975 en l’absence de réformes. En 2021, on comptait seulement 1,7 cotisant pour 1 retraité, contre 2,01 en 2005. Cela a conduit en 2014 à relever l’âge de départ à la retraite et à allonger la durée de cotisation pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein dans le régime général (43 ans pour la génération 1973), tout en prenant des mesures de justice sociale au profit des salariés ayant commencé à travailler tôt (carrières longues), des handicapés et des personnes ayant exercé des tâches considérées comme pénibles (6). Dans le privé, l’âge moyen de départ effectif à la retraite était de 63,3 ans en 2020. Malgré cela, en l’absence de réformes, le ratio aurait pu tomber à moins de 1,2 cotisant pour 1 retraité en 2070 en supposant un passage à 64 ans de l’âge moyen de départ à la retraite en 2040, à législation inchangée, du fait notamment de l’allongement de la durée de vie ainsi que d’une baisse de la natalité (estimée à 1,8 enfant par femme), compensée seulement en partie par l’immigration. Il y aurait alors environ 24 millions de retraités pour environ 30 millions de cotisants.
– Le système a connu dans les années 2000 un déficit chronique, qui a atteint 0,3% du PIB en 2010, et qui se serait aggravé sans les mesures nouvelles. Les réformes accomplies depuis 2010 ont permis d’enrayer la dérive des régimes de base grâce à l’allongement de la durée de cotisation pour obtenir une pension à taux plein et à une hausse des cotisations. Les mesures adoptées ayant provoqué un recul effectif de l’âge moyen de départ à la retraite, le solde de la branche Vieillesse du régime général aurait dû être positif en 2019 (+0,7 milliard d’euros), mais aura été en déficit du fait des mesures gouvernementales affectant les recettes sans compensation. Dans le même temps, le déficit du Fonds de Solidarité Vieillesse (FSV, qui finance des mesures de bonification et les cotisations pour les chômeurs) a d’abord été légèrement réduit, à 2,9 milliards d’euros en 2013, mais a commencé à remonter à partir de 2014 (3,5 milliards d’euros), celui des autres régimes s’élevant à 1,1 milliards d’euros. Après une régression temporaire, il est remonté à 2,9 milliards d’euros en 2020 puis à 2,4 milliards d’euros en 2021 (7). La crise sanitaire de 2020 a conjoncturellement propulsé le déficit du système à 18 milliards d’euros, conséquence d’une forte chute des ressources tandis que les dépenses ne diminuaient que faiblement, représentant 0,8% d’un PIB lui-même en diminution. La reprise économique a permis un retour temporaire à une situation excédentaire en 2022 (prévision de +3,2 milliards d’euros) avant un retour à une situation durablement déficitaire (prévision de -1,9 milliards d’euros en 2023 et prévision initiale de 5,8 milliards d’euros en 2024). Conséquence de la crise, ce taux des retraites par rapport au PIB devrait se stabiliser dans les prochaines années autour de 14% du PIB, soit à un niveau un peu supérieur à celui d’avant crise, en intégrant une baisse de l’espérance de vie à 60 ans de 0,3 an du fait de l’épidémie.
Indépendamment du déficit, les réserves nettes du système s’élevaient fin 2021 à 206,4 milliards d’euros (dont 26 milliards d’euros pour le Fonds de Réserve des Retraites), compte tenu d’une partie des dettes de la CADES pour le financement des retraites s’élevant à 43,2 milliards d’euros.
– La situation financière des régimes complémentaires ARRCO et AGIRC est fragile, surtout pour ce dernier qui, sans réforme, aurait épuisé ses réserves en 2018 et n’aurait plus été en mesure de maintenir le niveau des pensions versées (8). L’accord du 17 novembre 2017 a institué un régime AGIRC/ARRCO à compter du 1er janvier 2019 et assuré sa pérennité ; toutefois, les pensions versées dépendant de la croissance économique, actuellement faible, le taux de remplacement pourrait diminuer. Les réserves du fonds (prises en compte pour le calcul au niveau de l’ensemble du système) s’élevaient en 2021 à 86,5 milliards d’euros en face de retraites complémentaires se montant à 94,1 milliards d’euros.
– Les régimes spéciaux pour les fonctionnaires, les agents des collectivités locales et des établissements hospitaliers, les personnels de certaines professions (industries électriques et gazières, ouvriers d’Etat, mineurs, marins) ou de certains établissements (SNCF, RATP, Banque de France, Opéra de Paris, Comédie française) couvrent au total 20% des actifs et se caractérisent notamment par une intégration aux comptes de l’Etat ou des entreprises concernées ; ils pèsent sur les comptes de l’Etat, qui directement ou indirectement doit contribuer à leur équilibre (9). Les subventions d’équilibre correspondent notamment à plus de 60% des dépenses à la SNCF et à la RATP et à 81% des dépenses dans le cas du régime minier. Les régimes agricoles, du fait d’une démographie très déséquilibrée, dépendent largement de transferts et des taxes pour leur financement. Les cotisations du régime des électriciens et gaziers ne couvrent que 43% des dépenses, le solde provenant principalement des contributions à la charge des usagers.
– La dette sociale, financée essentiellement par l’emprunt, était de 216 milliards d’euros fin 2017 (10), Pour l’amortissement de cette dette, la CADES bénéficie de trois sources de recettes, qui se sont élevées respectivement en 2017 à 7,2 milliards d’euros pour la CRDS, 7,9 milliards d’euros pour une part de la CSG et 2,1 milliards d’euros pour la contribution de Fonds de Réserve des Retraites. La dette subsistante devait être totalement remboursée fin 2024, mais la crise sanitaire de 2020 a provoqué un déficit considérable de la sécurité sociale, entrainant un transfert vers la CADES de 136 milliards d’euros de dette sociale nouvelle à amortir, dont 89 milliards du fait des retraites à financer. Ce dernier montant était ramené à 43,2 milliards d’euros en 2021.
Les perspectives
Les générations du « baby-boom » (générations de plus de 825 000 naissances annuelles entre 1946 et 1973), qui ont généré des excédents de ressources alors que les « classes creuses » partaient à la retraite, menacent de générer des déficits importants jusque vers 2035-2040 du fait du « papy-boom »; ce déficit pourrait régresser ensuite, malgré la baisse de fertilité(11). Le niveau du déficit dépendra en outre fortement de la croissance économique ainsi que de la démographie. Pour 2025, date charnière d’entrée en application de la réforme envisagée avant la crise sanitaire par le gouvernement, le COR prévoyait alors un déficit se situant entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros.
Le déficit du système, ainsi que les subventions d’équilibre au profit de certains régimes spéciaux, sont financés par la dette sociale ou par l’Etat ; or ce dernier, loin d’équilibrer son budget, doit lui-même s’endetter de manière croissante. Cela revient à constater que globalement les retraites sont financées pour une part non négligeable par endettement public. Avec la remontée des taux d’intérêt amorcée en 2022, le poids de cette dette constitue directement ou indirectement une épée de Damocles pour le système.
La survie du système actuel demeure donc menacée, imposant sans cesse des réformes, dont la complexité a trois causes :
- la nécessité de choix douloureux pour tout ou partie des Français
- l’absence de progression suffisante des revenus d’activité grâce à la croissance, qui permettrait d’absorber plus aisément les efforts demandés, mais aussi en conséquence notamment d’un taux d’emploi des seniors (60-64 ans) parmi les plus faibles des pays développés (33,1% en 2020, contre 53,2% aux Etats Unis, 60,7% en Allemagne, 69,2% en Suède et 71% au Japon)
- l’impossibilité de bouleverser brutalement le système actuel, même si dans certains de ses aspects il peut sembler à bout de souffle ; un changement des mécanismes de solidarité (12) ne serait possible que dans la longue durée, avec des mesures de transition.
Conclusion
Les facteurs déterminant pour la survie du système sont :
- A long terme, le retour à une croissance plus forte, en raison de ses effets bénéfiques sur l’emploi et la productivité, ainsi que sur les cotisations.
- A court terme, des mesures nouvelles permettant de rétablir progressivement l’équilibre financier du système à travers ses multiples régimes tant qu’ils subsisteront, sans provoquer dans le même temps une dégradation de celui de l’Etat.
- En permanence, un traitement équitable de chaque génération au risque, dans le cas contraire, d’une perte de crédibilité du système, voire de son rejet. La loi du 20 janvier 2014 a posé le principe de « contributions réparties équitablement entre les générations ».
A défaut d’un rééquilibrage durable et largement accepté, une refonte plus globale du système deviendrait inéluctable, impliquant de nouveaux principes de solidarité et sans doute l’obligation pour chacun de trouver par lui-même, à travers son épargne, les moyens de mieux défendre son pouvoir d’achat pendant toute sa retraite. Les dispositions de la « Loi PACTE » du 22 mai 2019 réformant l’épargne retraite s’inscrivent dans cette logique. Le report du fait de la pandémie de la Covid 19 de toute réforme ne changeait rien à ce constat, qui explique la réforme finalement intervenue en 2023.
La loi du 14 avril 2023 réformant l’assurance vieillesse
Elle a été adoptée sous la forme d’une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. Ce qui explique que certaines des dispositions du projet de loi, qu’elles aient émané du gouvernement ou du parlement, aient été censurées par le Conseil constitutionnel qui a estimé qu’elles n’avaient pas d’impact ou pas suffisamment d’impact direct sur les recettes et dépenses des régimes de sécurité sociale.
A la différence majeure du projet abandonné de 2019, qui reposait sur un régime universel par points, la convergence de tous les régimes spéciaux vers le régime général et divers mécanismes de solidarité, la loi du 14 avril 2023 n’implique pas de modification systémique du mode de répartition. Elle s’appliquera à compter du 1er septembre 2023.
Ses composantes essentielles sont :
- un recul de l’âge légal porté à 64 ans au lieu de 62 ans, avec un recul de 3 mois par année civile à compter de la génération née à partir du 1er septembre 1961 (la génération 1968 étant la première à laquelle s’appliquera en 2030 l’âge légal de 64 ans) ;
- la mise en extinction le 1er septembre 2023 des régimes spéciaux (sauf ceux des marins, des professions libérales, des avocats, de l’Opéra et de la Comédie Française), impliquant qu’ils continueront à s’appliquer pour les salariés recrutés avant cette date jusqu’à leur départ en retraite et que le régime général s’appliquera aux salariés recrutés à partir de cette date ;
- le maintien du régime de la fonction publique (retraite calculée sur la base du salaire indiciel des 6 derniers mois d’activité, mais non prise en compte des primes pour la retraite de base)
- le recul de 2 ans de l’âge légal de départ pour tous les salariés hors régime général (régimes spéciaux, catégories actives de la fonction publique) comme pour les salariés du régime général ;
- une accélération du passage à 43 ans de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein (sauf cas particuliers), ou atteinte de l’âge de 67 ans ;
- des dispositions particulières pour les carrières longues, à savoir (pour un taux plein) un âge de départ de 58 ans pour les salariés ayant commencé à travailler avant 16 ans, 60 ans sous réserve d’avoir cotisé 43 ans pour les salariés ayant commencé à travailler avant 18 ans (mais pas avant 16 ans), 63 ans pour ceux ayant commencé à travailler avant 21 ans ; surcote (plafonnée à 5%) pour les mères de famille ayant les trimestres nécessaires pour partir à 63 ans avec une retraite à taux plein mais devant attendre encore un an pour respecter le nouvel âge légal (pour compenser la perte de l’avantage antérieur de trimestres acquis au titre de la maternité) ;
- une pension minimale portée en cas de carrière complète et à temps plein, à 85% du SMIC net, soit environ 1200 euros bruts en 2023, avec indexation sur la hausse du SMIC, concernant potentiellement les femmes ainsi que les travailleurs indépendants ;
- la prise en compte dans le régime général des durées de travaux d’utilité collective (TUC), des périodes pendant lesquelles des aidants familiaux ont été contraints d’abandonner totalement leur activité professionnelle (environ 40 000 personnes selon le gouvernement); une assurance vieillesse spécifique est créée pour les aidants ;
- la prise en compte de la pénibilité dans des conditions assouplies, les salariés déclarés médicalement inaptes à travailler à partir de 61 ans pourront partir à la retraite sans décote à 62 ans ; ce même âge s’appliquera aux personnes en situation d’invalidité ; l’âge de 55 ans continuera à s’appliquer aux travailleurs handicapés; les travailleurs exposés à plusieurs facteurs de risque pourront quant à eux bénéficier d’un projet de reconversion professionnelle ;
- l’assouplissement des conditions d’une retraite progressive, mais à partir de 62 ans au lieu de 60 ans, et extension de cette possibilité à la fonction publique.
Les diverses mesures d’accompagnement de la réforme évoquées ci-dessus sont souvent assorties de conditions particulières ou de plafonds dont les personnes potentiellement susceptibles d’être concernées auront intérêt à prendre connaissance pour connaître précisément leurs droits. La loi a été publiée au Journal Officiel du 15 avril 2023. Elle a été complétée par deux décrets d’application du 3 juin 2023 (Journal officiel du 4 juin 2023) et plusieurs décrets parus en août 2023.
L’objectif de la réforme est de retrouver à l’horizon 2030 l’équilibre du système de retraites. Le gouvernement espérait dégager à cet horizon 17, 7 milliards d’euros supplémentaires au lieu d’un déficit de 13,5 milliards d’euros. Il y aurait donc un excédent de 4,2 milliards d’euros.
Mais il y aurait à financer 700 millions d’euros pour le minimum de pension, 3,1 milliards pour le maintien à 62 ans de l’âge légal de départ des travailleurs invalides ou inaptes, 600 millions pour les carrières longues, 300 millions du fait des départs anticipés pour inaptitude médicalement constatée, 200 millions du fait des droits à cumul emploi/retraite et des retraites progressives. Le déficit induit devait être financé par une hausse de 0,12% des cotisations retraite des entreprises, compensé par une baisse équivalente des cotisations accidents du travail (branche en excédent) et une cotisation supplémentaire de 0,1% des employeurs collectivités locales et hôpitaux procurant 700 millions d’euros. Le gouvernement attendait globalement un excédent de 0,3 milliards d’euros lors du dépôt du projet de loi.
Les amendements adoptés lors de l’examen par le parlement se sont traduits par la prévision de dépenses additionnelles (700 millions au titre des carrières longues, 300 millions pour les retraites des mères de famille, 200 millions pour les retraites des aidants, tandis que le gouvernement s’est engagé à contribuer au supplément de charges supportées du fait de la réforme par les collectivités locales et par les hôpitaux (700 millions d’euros). Des recettes compensatoires sont attendues de la création d’une contribution de 30% à la charge des employeurs sur les indemnités de mise à la retraite, de rupture conventionnelle ou de départ volontaire du salarié dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (indemnités exonérées de forfait social) ainsi que de contributions d’autres branches de la sécurité sociale (famille, autonomie)
Toutefois ces prévisions reposent sur l’hypothèse d’une hausse de 1% par an de la productivité et d’un taux de chômage ramené à 4,5%. L’Institut Rexécode a ainsi calculé qu’un taux de chômage de 7% au lieu de 4,5% en 2030 entraînerait un déficit de 7 milliards d’euros.
Dans son rapport de juin 2024, en s’appuyant sur l’hypothèse d’une hausse de la productivité de 1% à partir de 2040, le COR anticipe un déficit de 0,4% du PIB sur la période 2024-2030 et de 0,8% du PIB en 2070., sous réserve d’un taux de chômage ramené à 5% en 2030, d’un solde migratoire de +20000 par an et d’un taux de fécondité de 1,8 enfant par femme (1,68 en 2023).
L’évolution favorable ou défavorable de ces paramètres aurait des conséquences sur le solde du système, en l’absence de modification de ses règles. Auraient une incidence négative sur le solde à l’horizon 2070, un niveau du taux de fécondité inférieur à 1,8 enfant par femme, un niveau d’immigration inférieur à 20000 personnes par an, un taux de chômage durablement inférieur à 5% et un taux de productivité horaire du travail qui fléchirait, par exemple de mesures de transition écologique ou de l’IA. Ainsi un taux d’accroissement de la productivité de 1% ou de 1,3% aurait des effets positifs dans les scenarios étudiés par le COR et inversement un taux de 0,4% ou même de 0,7% s’accompagnerait d’une dégradation du solde. Le niveau de vie moyen des retraités s’établirait alors entre 79,6% et 90,8% de la moyenne de la population française.
Les prévisions gouvernementales laissent entière l’incertitude au-delà de 2030, période pendant laquelle le déficit pourrait davantage se creuser, posant le problème d’autres mesures pour rétablir l’équilibre du système en modifiant les paramètres de l’actuel régime en annuités, ou pour changer les mécanismes du système. comme envisagé dans le projet abandonné de 2019.
Il n’est pas tenu compte des effets indirects sur les comptes publics du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite : hausse des recettes d’impôt sur le revenu et des cotisations sociales dans les autres régimes, mais dépenses accrues d’assurance maladie, de prise en charge du chômage, etc…
Annexe
Les différents mécanismes de retraite par répartition
A l’opposé de l’épargne individuelle, ils reposent sur la solidarité inter générationnelle ou intra générationnelle.
Au long de leur vie professionnelle, contre des cotisations versées par eux (et souvent aussi leurs employeurs dans le cas de salariés), les bénéficiaires acquièrent des droits qui, dans le cadre de règles souvent complexes, leur permettent de bénéficier d’une pension tout au long de leur retraite. L’équilibre du régime suppose que, quel que soient les droits acquis, les ressources d’une année soient égales aux pensions à servir pendant l’année.
Ce lien entre cotisations et pensions peut exister suivant des modes différents. On peut notamment distinguer :
- les régimes en annuités
- les régimes en points
- les régimes en comptes notionnels
Les cotisations dépendent :
- du nombre de cotisants actifs, sachant que plus ils cotisent longtemps, plus les ressources sont importantes et moins la charge des pensions est élevée ; du niveau de l’emploi, les chômeurs ne cotisant pas (ou nécessitant la prise en charge de leurs cotisations par des tiers)
- du barème des cotisations
- de l’évolution des salaires.
L’équilibre financier dépend donc de multiples paramètres, qui le rendent nécessairement instable.
Avantages
- la solidarité (inter générationnelle) qui préserve dans une très large mesure les assujettis des incidences patrimoniales des aléas de la vie
- il n’est pas sensible à l’inflation – ce qui ne signifie pas qu’il garantisse la pérennité du pouvoir d’achat puisque seule la pension est assurée
- il permet des modulations des droits en fonction des priorités de la politique sociale
- il est égalitaire à niveau de salaire et de durée de cotisation identique sous réserve des priorités clairement définies.
Inconvénients
- la vulnérabilité à l’évolution démographique qui tend à modifier l’équilibre cotisants/pensionnés
- la vulnérabilité à la conjoncture économique dont la détérioration affecte brutalement les cotisations (chômeurs, entrée retardée des jeunes sur le marché du travail, freinage de la hausse des salaires)
- des situations inéquitables (exemple : les femmes éloignées du travail pour élever des enfants, évitant ainsi des charges à la collectivité, sont doublement pénalisées par des salaires moins élevés et par des durées de cotisation plus courtes à âge de départ égal à celui des hommes)
- la difficulté à augmenter les cotisations sans nuire au pouvoir d’achat des salariés et/ou à la compétitivité de leurs employeurs.
Les régimes en points
On les trouve en Allemagne, en Norvège, en Finlande, mais aussi en France au niveau des régimes complémentaires de retraite (AGIRC, ARRCO) ainsi que dans le régime de base des professions libérales (CNAVPL).
Les cotisations versées sont transformées en points, eux-mêmes valorisés en euros (ou autre monnaie).
La pension se calcule par la formule P=N*VS où
P est le montant annuel de la pension
N est le nombre de points acquis (qui peut être modulé en fonction d’une décote ou d’une surcote)
VS est la « valeur de service » du point à la liquidation de la pension.
Cette valeur de service, comme la valeur d’acquisition (valeur du point) sont revues annuellement en fonction de la situation financière du régime et de l’inflation. Souvent existe une garantie de non diminution de la valeur de service (voire d’augmentation minimale).
Avantages
- en premier lieu les mêmes que dans le cas du régime en annuités
- une discipline financière plus forte lors de chaque réexamen annuel des valeurs d’acquisition et de service, de nature à mieux assurer la pérennité du régime
- une plus forte implication du futur retraité sur le niveau de sa pension du fait qu’il suit régulièrement les évolutions de son nombre de points acquis et de la valeur de service.
Inconvénients
- les mêmes que ceux du régime en annuité, étant précisé que si la valeur de service ne peut baisser en cas de difficulté à équilibrer le régime, la pression sera reportée soit sur les cotisants, qui devront supporter des hausses de cotisation, sans contrepartie garantie, soit en mettant en œuvre comme en Allemagne ou au Japon d’autres moyens d’ajustement.
Dans les régimes en points, la prise en compte de la solidarité (compensation des périodes de chômage, des arrêts de carrière pour élever des enfants), suppose des mécanismes externes au système ; cela peut être réalisé à l’intérieur du régime par des majorations de cotisation, ou plus classiquement par une prise en charge étatique ; ainsi en Allemagne, les mesures de solidarité supportées par l’Etat représentent environ un tiers des ressources du régime.
Les régimes en comptes notionnels
La Suède par son expérience déjà assez longue est la référence pour ce mécanisme, qui vise dans son principe à assurer l’équilibre actuariel entre cotisations versées et pensions reçues pour chaque génération.
Les cotisations versées constituent le capital virtuel du salarié (il s’agit bien d’un système par répartition).
La pension au départ à la retraite dépend :
- du capital virtuel
- de l’âge effectif du départ
- de l’espérance de vie de la génération du retraité (correspondant à son année de naissance) à cet âge de départ.
La formule de calcul de la pension est P=G*CV où
P est le montant de la pension annuelle
G le coefficient de conversion, fonction de l’espérance de vie de la génération à l’âge du départ en retraite du salarié considéré
CV le capital virtuel.
En Suède, le taux de revalorisation des pensions est indexé sur le taux d’évolution du salaire moyen.
Avantages
- bonne adaptation à l’évolution de la démographie
- solidarité au sein d’une même génération
- faible sensibilité de l’équilibre à la conjoncture économique
- égalité à niveau de salaire et de cotisations identiques.
Inconvénients
- absence de souplesse au niveau du calcul des pensions pour prendre en compte la durée de la période d’activité ou la pénibilité du travail
- absence de solidarité inter générationnelle (inhérente à un système qui repose sur la solidarité au sein d’une même génération)
- effet pro cyclique sur l’économie en cas de crise (sauf ajustements par l’Etat)
- situations inéquitables identiques à celles des autres systèmes par répartition
- non prise en compte des aléas de la vie privée ou professionnelle dont les effets sur les pensions ne peuvent être corrigés que par un mécanisme externe (en général un financement compensatoire par l’Etat, c’est-à-dire essentiellement par les impôts).
Bilan comparatif
. Le régime en annuités suppose pour son équilibre une démographie favorable (au moins la stabilité du rapport actifs/retraités), et une situation économique non dégradée. A défaut, il devient nécessaire soit d’augmenter les cotisations avec le risque de provoquer une spirale économique-sociale dangereuse, soit de diminuer les pensions au détriment du pouvoir d’achat des retraités et de la consommation, soit d’imposer l’allongement de la période de cotisation à pension constante.
. Le régime en points s’avère en fait très proche du régime en annuités. Mais il s’en différencie par une forte responsabilisation des travailleurs actifs sur leur future pension à travers les points qu’il leur faut acquérir et le rapport « valeur du point/valeur de service », dont l’évolution connue constitue un signal fort.
. Le régime en comptes notionnels est le mieux adapté à l’évolution démographique et aux cycles économiques, avec également une forte sensibilisation des actifs quant à l’intérêt financier de rester le plus longtemps possible en activité.
Tous ces régimes présentent l’inconvénient de ne pas prendre en compte la solidarité envers ceux qui ont des carrières incomplètes ; y remédier passe nécessairement soit par une forme d’assurance à travers des cotisations majorées pour tous pendant les périodes d’activité, soit par des financements étatiques.
Le bouleversement progressif des situations démographiques et économiques conduit logiquement à envisager des changements de mécanisme, notamment dans les pays ayant un régime en annuités.
Un tel changement est cependant difficile, car une alternative se présente alors :
- soit le nouveau régime (en points ou en comptes notionnels) ne s’applique qu’aux nouveaux cotisants, et l’effet ne sera perceptible qu’après plusieurs décennies
- soit il faut d’une part faire admettre le changement de paradigme, d’autre part trouver une formule équitable de valorisation des cotisations passées ou d’intégration des droits acquis.
[1] L’achat préalable de la résidence principale est cependant un moyen de préservation du pouvoir d’achat au-delà du départ à la retraite et peut donc souvent s’analyser comme un investissement en vue la retraite.
(2) Source : rapports du Conseil d’Orientation des Retraites (COR). Le dernier rapport annuel utilisé a été publié le 22 juin 2023.
(3) Le revenu médian était de 1 878 euros par mois, l’écart avec la moyenne (2132 euros) reflétant cette disparité et le fait qu’une forte majorité de retraités se situe largement au-dessous de la moyenne. 1/10 des retraités avait un revenu inférieur à 1 128 euros par mois et 1/10 d’entre eux un revenu supérieur à 3 220 euros par mois. Le taux de pauvreté (personnes ayant un revenu inférieur à 60% du revenu médian de l’ensemble de la population) était de 6,8% pour les retraités en 2016, contre 14% pour l’ensemble de la population et 19,8% pour les jeunes de moins de 18 ans. La part relativement élevée des revenus provenant du patrimoine s’explique par un patrimoine moyen (267 300 euros en 2018) plus élevé d’environ 35% que celui de la moyenne de la population, du fait de l’épargne accumulée au fil de la vie, d’héritages, etc…
(4) En 2020, la pension moyenne des femmes n’était que de 76% de celle des hommes, réversion incluse (60% avec les seuls droits directs); toutefois ces femmes étant plus souvent seules que les hommes, l’écart de niveau de vie était nettement plus faible. Leur durée de retraite était en moyenne de 4 ans supérieure à celle des hommes, écart appelé à se réduire essentiellement du fait des évolutions des âges respectifs d’entrée dans la retraite.
(5) En 2018, l’espérance de vie à 60 ans calculée par l’INSEE était de 23,2 ans pour un homme et de 27,6 ans pour une femme. Les projections pour 2040 portent ces chiffres respectivement à 26,2 ans et 30,1 ans. A l’horizon 2070, le rapport 2022 du COR prévoit 23 millions de retraités (16,8 millions en 2020) et 1,2 cotisant pour 1 retraité sur les bases du système actuel. La progression du nombre de retraités se ralentirait à partir de 2040, où le ratio serait d’environ 1,5.
(6) Le compte personnel de pénibilité est entré en vigueur le 1er janvier 2015. Ce mécanisme ne pèse pas sur l’équilibre du système des retraites tant que les cotisations patronales financent les droits des bénéficiaires.
(7) Source : loi de financement de la sécurité sociale pour 2021
(8) Fin 2015, les réserves de l’AGIRC représentaient 2 mois de prestations, contre 13 mois pour les réserves de l’ARRCO et 36,3 mois pour celles du Fonds de Réserve des Retraites. Fin 2017, les réserves de l’ensemble des régimes par répartition s’élevaient à 173,3 milliards d’euros. (62,5 milliards pour AGIRC/ARRCO).
(9) Le déséquilibre démographique de certains régimes ne cesse de s’accroître (mineurs, marins). La loi de finances pour 2020 prévoyait 6,2 milliards d’euros à la charge de l’Etat pour l’équilibre des régimes spéciaux : 4,2 milliards dans le secteur des transports terrestres (SNCF, RATP), 0,8 milliards pour la sécurité sociale des marins, 1,2 milliards pour les régimes des mines, de la SEITA et divers autres.
(10) Soit 5,3 % de la dette publique française fin 2017.
(11) Le FSV devrait rester constamment déficitaire dans le même temps.